Comment les enfants de Donald Trump font campagne auprès de l'"alt-right" américaine et de sa fachosphère complotiste
En un week-end, les trois aînés du président américain ont envoyé des signaux discrets, mais clairs, à l'intention des internautes qui avaient soutenu le président lors de la campagne de 2016.
Vous pensiez que Donald Trump était particulièrement habile sur les réseaux sociaux ? Attendez de rencontrer ses enfants ! Ses trois aînés, Donald Jr, 42 ans, Ivanka, 38 ans et Eric, 36 ans, avaient déjà occupé le devant de la scène lors de la campagne présidentielle de 2016. Trois ans et demi plus tard, alors que le président américain remet son mandat en jeu en novembre 2020, la fratrie s'est remise en ordre de bataille.
Samedi 16 et dimanche 17 mai, les "first kids" ont pris la parole dans la presse conservatrice ainsi que sur les réseaux sociaux, afin d'accréditer des théories du complot susceptibles de mobiliser une frange très investie de l'électorat de Donald Trump. Un début de campagne qui pourrait donner le ton, alors que le président, privé de meeting par l'épidémie de coronavirus, entend bien exploiter l'avance dont il dispose sur son adversaire.
Du clin d'œil discret à la "blague" de mauvais goût, voici comment le cercle le plus rapproché du président ouvre les hostilités à six mois du scrutin.
Donald Trump Jr : un mème diffamatoire qui parle à l'"alt-right"
"Donald Trump Jr fait ce qu'il a toujours fait : le sale boulot des campagnes électorales de son père." Dans cet édito publié dimanche, un journaliste de CNN estime que le fils aîné du clan Trump mérite le titre de "roi des trolls". En cause : la publication samedi sur Instagram d'un détournement prétendument humoristique (un "mème") qualifiant de pédophile l'adversaire démocrate de son père, l'ancien vice-président Joe Biden.
Ce dernier fait l'objet d'une accusation de viol par une ancienne collaboratrice, Tara Reade. En revanche, rien ne l'accuse pour comportement inapproprié vis-à-vis d'enfants ou d'adolescents. Pourquoi donc l'attaquer sans aucun fondement, alors que le candidat est déjà déstabilisé par un scandale bien réel ? Parce que la pédophilie est "une obsession de l'alt-right", résumait Newsweek dès 2017. C'est même le fondement du "Pizzagate", la théorie complotiste qui a émergé à l'aube de l'élection présidentielle de 2016, et selon laquelle les élites démocrates de la ville enfermaient et violaient des enfants dans l'arrière-salle d'une pizzeria de la capitale.
L'accusation selon laquelle les démocrates et, plus largement, l'élite de gauche, défendent la pédophilie est une constante des médias alternatifs d'extrême droite, fervents défenseurs du candidat Trump. Ainsi, en 2016, le présentateur complotisme Alex Jones déclarait "n'avoir aucun mal à se lever contre Hillary Clinton" "en pensant à tous les enfants qu'elle a personnellement assassinés, découpés en morceaux et violés", rappelait Newsweek.
Donald Trump Jr, lui, n'a pas été si loin, se contentant de poster une photo de Joe Biden flanqué du mot "pédophile". Après qu'un journaliste du New York Times a mentionné sur Twitter le contenu accusateur posté sur Instagram, l'aîné Trump s'est défendu, tweetant une réponse évidemment ambiguë : "1. les trois émojis 'rire' que j'ai mis en commentaire suffisent à quiconque avec un brin de bon sens pour comprendre que je plaisante. 2. Si les médias ne veulent pas qu'on se moque et qu'on fasse des blagues sur Joe Le Malaise, alors peut-être qu'il devrait arrêter de toucher sans accord et garder ses mains pour lui ?" Un tweet qui s'accompagne de photos montrant Joe Biden embrassant des enfants sur le front, ou les tenant par les épaules.
Eric Trump et la théorie complotiste de la création du coronavirus
Eric Trump s'est quant à lui exprimé sur Fox News, la chaîne conservatrice préférée du président. "Ils pensent qu'ils privent Donald Trump de sa meilleure arme, qui est sa capacité a remplir des stades de 50 000 places à chaque meeting. Ils vont en faire des caisses jusqu'au 3 novembre. Et devinez quoi, après le 3 novembre, le coronavirus va disparaître comme par magie, tout à coup, et tout le monde pourra rouvrir [les commerces et restaurants]". Par "ils", comprenez "les démocrates". Quant à la date du 3 novembre, il s'agit simplement de la date de l'élection présidentielle.
This is INSANE. The Dems have hyped up COVID-19 to keep his dad from holding rallies?
— David Axelrod (@davidaxelrod) May 17, 2020
There are 90K dead and climbing. The entire WORLD is grappling with this pandemic.
And @EricTrump thinks it’s all about keeping his dad from holding rallies?!?https://t.co/BFbFiYDNx7
Or, comme l'affirme cette enquête de The Atlantic consacrée aux forums pro-Trump se revendiquant des théories complotistes "QAnon" (une sorte de communauté réunie autour de multiples conspirations dont raffolent beaucoup de supporters de Donald Trump) : "Une série d'idées ont émergé dans la communauté QAnon : que le coronavirus n'est pas réel, qu'il a été créé par le 'deep state', les membres du gouvernement et les élites qui dirigent le monde en secret ; que l'hystérie autour de la pandémie est un complot pour nuire aux chances de réélection de Trump ; et que les médias se réjouissent du nombre de morts."
Qu'importe que le Covid-19 ait tué des centaines de milliers de personnes à travers le monde, l'idée selon laquelle le coronavirus a été créé par les adversaires de Donald Trump pour empêcher sa réélection connaît un franc succès chez certains partisans du président, lesquels s'en prennent notamment à Bill Gates, accusé par beaucoup d'être à la manœuvre, rapporte le New York Times. Le journal ne manque pas de rappeler que le fondateur de Microsoft et philanthrope n'a jamais été tendre avec le magnat de l'immobilier.
Ivanka Trump a pris la "pilule rouge" ?
Peut-on considérer qu'un tweet – ne contenant qu'un seul mot – peut être un discret appel du pied à la frange complotiste de l'électorat de Donald Trump ? C'est la question que pose cette brève intervention d'Ivanka Trump, la fille chérie du président, dimanche soir sur Twitter. Tout commence avec un message mystérieux de l'entrepreneur Elon Musk: "Prends la pilule rouge."
Cette phrase, qui fait référence au film Matrix, est un slogan bien connu de la communauté "alt-right". Dans le film de 1999, le personnage de Morpheus propose au héros, Neo, le choix entre une pilule bleue, qui lui permettra de vivre heureux dans l'ignorance, et une pilule rouge, qui marquera son éveil à la réalité, douloureuse, de la Matrice. Pour ces internautes, faire référence à la "pilule rouge" revient à poursuivre une quête de vérité, en opposition au discours des grands médias et des institutions internationales.
En répondant "taken" ("elle est prise") à Elon Musk, Ivanka Trump indique-t-elle à la communauté qui se reconnaît derrière ce concept que sa famille est des leurs ? "Le flou ici est entièrement délibéré de tous les côtés, analyse Slate. Personne ici ne s'engage à une idée particulière (...), donc personne ne doit répondre de quoi que ce soit. Et pendant ce temps-là, tout le panthéon de la frange 'alt-right' se réjouit d'un soutien implicite d'un industriel de premier plan et des enfants du président." C'est aussi la lecture qu'en fait la réalisatrice Lilly Wachowski, coautrice et coréalisatrice (avec sa sœur Lana) de la saga Matrix. Sa réponse est sans équivoque : "Allez tous les deux vous faire foutre", écrit-elle à Elon Musk et Ivanka Trump.
Fuck both of you
— Lilly Wachowski (@lilly_wachowski) May 17, 2020
En 2019, deux sociologues de l'université de Floride ont étudié le rôle de la mobilisation de l'"alt-right" via des forums antiféministes (dits "masculinistes") en ligne dans l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche. Leur étude, intitulée "comment la pilule rouge a aidé à élire Donald Trump", se penche sur le contenu d'un forum du même nom. "Il est trop simple de balayer d'un revers de la main ces hommes comme de simples trolls sur internet, qui ne souhaitent pas se mêler des affaires courantes. Le 8 novembre 2016 [date de l'élection de Donald Trump], ils ont fait connaître leur agenda politique et il est certain qu'ils voudront recommencer", concluaient les chercheurs.
Alors que l'épidémie de coronavirus a cantonné la campagne aux seuls espaces numériques, la famille Trump aurait tout intérêt à solliciter l'aide de cette armée de supporteurs. Elle les découvrait en 2016. Quatre ans plus tard, elle sait mieux que personne ce dont ils sont capables.
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